En même temps, faire n’importe quoi, ça me donne un peu l’impression de vivre.Reprenons :
Samedi, je me désespère d’avoir perdu la trace du prince des collines, rencontré par un hasard divin au milieu d’une boîte à cul.
Dimanche, pareil.
Lundi, je décide d’engager une vaste campagne d’autocollants dans son quartier, puisque, parmi les quelques choses que je sais de lui, il y a sa station de métro. Je placarde donc allégrement mon message, avec une adresse mail dédiée, en essayant de quadriller méthodiquement le secteur.
Mardi, je désespère toujours de ne rien trouver dans la boîte mail en question. Au bureau, pris d’une espèce de transe mystique, je décide de me replonger dans Google et d’y passer le temps qu’il faudra pour retrouver sa foutue trace. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que c’est possible. Croyez-le ou pas, en une heure, j’avais un nom, un mail et un numéro de portable. Un petit coup de fil bien placé, et on me confirme que le portable va bien avec le nom. C’est déjà ça. J’appelle… et c’est bien lui. Il hallucine, autant que moi d’ailleurs, qui ne boude pas mon plaisir de passer pour un journaliste enquêteur de premier ordre.
C’est là que ça devient subtil : évidemment, j’aurais aimé qu’il dise : ah c’est génial que tu m’appelles, on se voit quand ? En l’occurrence, j’ai l’impression qu’il est assez heureux de m’entendre, en dépit du procédé qui peut passer pour très cavalier. Je lui dis que ce serait bien qu’on boive un verre pour faire le débriefing, il me dit volontiers, il garde mon numéro. Moi j’en reste là, je ne veux pas être lourd. Déjà qu’il doit se demander si je n’ai pas torturé deux ou trois membres de sa famille pour avoir son téléphone, bref, si je ne suis pas un cinglé psychopathe.
Psychopathe ? Horreur ! Je repense avec effroi que j’ai laissé une trentaine d’étiquettes portant son prénom et mon désespoir dans toutes les rues de son quartier. Autant je priais la veille qu’il tombe dessus, autant je contre-prie désormais pour qu’il pleuve un déluge qui décollerait ces foutus traces de mes idées obsessionnelles ! Parce que là, si ça m’arrivait à moi, je crois que j’achèterais vite une bombe lacrymogène et une chaîne de sécurité pour ma porte d’entrée…
Préoccupé, je quitte donc le bureau plus tôt pour retourner sur les lieux de mes méfaits. Il y a malheureusement nettement plus de monde que la veille, et j’ai bien l’air con à vouloir arracher mes propres étiquettes, qui d’ailleurs se laissent à peine arracher. Dans les lieux très fréquentés, en fin conspirateur, je fais semblant de téléphoner pour donner l’impression que je gratouille machinalement et sans y penser ces petits papiers. Pas mal, non ? Enfin, c’est n’importe quoi. Je me concentre sur les plus voyantes, et j’abandonne les autres, en cherchant des arguments pour me persuader qu’elles étaient de toutes façons mal localisées, soit exactement le raisonnement inverse de la veille. C’est assez dévastateur pour un esprit s’appuyant comme le mien largement sur l’intuition. Bref.
Donc maintenant j’ai le numéro de ce type, dont je ne sais même pas s’il me l’aurait laissé sur place, vendredi soir. Il peut très bien avoir envie de laisser un gouffre entre sa vie de la nuit et celle du jour. Et je peux le comprendre. Je dois l’appeler pour lui proposer un verre. Et autant je déborde d’idées quand il s’agit de faire n’importe quoi, autant je suis complètement flippé à l’idée de mal utiliser ce tout petit avantage. Je flippe de l’appeler, et qu’il me dise : non pas ce soir, on se tient au courant, ce que je prendrais pour une éviction sans en être tout à fait sûr, ce qui ne manquera pas de provoquer en moi de nouveaux stratagèmes tordus.
Faut-il que je laisse un peu de temps, que je l’appelle demain, ou vendredi ? Faut-il que j’insiste s’il commence par décliner, alors que je ressens quelques scrupules à en savoir désormais bien plus sur lui que lui sur moi ? Faut-il que je lui dise clairement que j’aimerais bien qu’on finisse ce qu’on avait commencé ? Sachant que je ne suis plus très sûr de savoir à quoi il ressemble ? En fait, est-ce que je ne crains pas que toutes ces péripéties, finalement assez rigolotes, s’achèvent par une impasse, finalement un peu tristoune ?
Bordel, je rêve ou je suis en train de retomber en adolescence ?
Chanj pa snèv, c com ça kon t’m ! laché vos com