Vomiturus ve salutat
Vendredi 31 mars 2006Disons qu’il ne faudrait pas non plus que l’on me prenne pour un grand malade ! Moi je prends ça à la rigolade !
Je ne sais pas d’où cela m’est venu. Quand j’étais gamin, je ne peux pas dire que ça me rendait euphorique, mais comme j’y passais systématiquement sur la route des vacances, ou même de temps en temps après avoir mangé trop de chocolat, j’ai dû grandir avec l’idée que c’était le lot commun à notre condition de res extensa (j’aime bien les tournures alambiquées, voire pédantes).
Plus tard, quand j’étais ado, je me suis pris mes cuites initiatiques sans broncher, avec tout ce que cela suppose de whisky coca sur Soho orange puis alcool flambé et tout le toutim. Lecteur, je te laisse imaginer le tableau. Mais déjà en ces temps, je me souviens que je préférais souvent rester deux heures sous une table à fixer n’importe quel point lumineux, comme le marin breton ne perd pas des yeux le phare de Bénodet, plutôt que de me laisser aller aux spasmes libérateurs qui m’auraient permis pourtant, comme ils le permettaient à mes congénères, de garder le rythme jeune et festif qui seyait à notre âge (j’aime bien les phrases longues aussi).
Je ne dit pas que j’avais un contrôle parfait sur le contenu de mon estomac, notamment lors de cette soirée où j’ai pris le liquide doré d’une bouteille en verre pour du vin blanc alors qu’il s’agissait de white spirit, mais je parvenais du moins à éviter la récurrence.
En fait je n’aimais tout simplement pas cela. Je n’aimais pas cette réaction corporelle, ces spasmes incontrôlables, cette odeur, ce goût, cette impression que ça n’en finira jamais, ou encore ces réveils en pleine nuit, avec cette boule au ventre qui remonte à la gorge et dont on comprend tout de suite l’implacable issue. En plus, je suis plutôt du genre à m’étouffer à moitié entre deux spasmes, bref la grande solitude devant ma lunette maculée.
Ah oui, au fait, je parle de vomir.
Alors par la suite, j’ai peu à peu substitué à ce simple dégoût le refus pur et simple de céder. Ouh la belle névrose qui arrive ! Car comme je sais bien l’inéluctabilité d’une bonne remontée de choucroute, ce refus c’est peu à peu transformé en angoisse. L’angoisse que cela arrive.
Ceci dit, je vivais très bien avec ce petit tracas qui n’est pas si méchant que je veux bien le décrire pour amuser la galerie. Il suffit de boire un peu d’eau pétillante quand on craint d’avoir trop mangé. Et puis un jour, conversation de bureau, dans mon dos :
«Vous avez regardé Delarue hier soir ?
— ah oui, c’était sur les phobies
— ouais, trop dingue. Tu as vu la nana qui a la phobie de vomir ?
— ouais trop pas cool (j’accentue le côté dinde de la conversation de bureau, ça m’amuse)»
Et moi mine de rien, l’air détaché :
«Ah moui ? ça existe ça ?
— oui, attends, ça s’appelle euh… l’ématophobie je crois
— mais non Mireille, c’est l’émétophobie ! (les prénoms ont été changés)»
L’émétophobie ! Ça c’est du concept ! Et c’est toujours plus classe d’avoir une petite névrose que l’on transforme en phobie chic avec un nom savant. En tout cas, je n’avais jamais pensé que se pût être quelque chose de répandu. Je me suis donc renseigné, et bien sûr mon cas ne vaut pas tripette à côté de grands émétophobes champions du monde. Mais il y a effectivement des similitudes.
Moi je serais plutôt du genre émétophobe social. J’ai surtout la trouille de vomir dans des endroits publics clos ou incommodes pour s’isoler rapidement. Le métro, typiquement, ou le bus, et E. commence à savoir que lorsque je ne lui réponds plus que par des signes de tête c’est que j’entre en phase de concentration. Les salles de spectacle, également, où je m’imagine parfois devoir escalader trois rangs de bourgeoises pour aller faire ma petite affaire contre une colonne en stuc, pendant le contre-ut de la dame. Ça m’a pourri quelques représentations. Parce que, tous les émétophobes vous le diront, le problème c’est l’auto-suggestion : dès que l’on a l’impression de sentir qu’éventuellement on aurait un peu mal au ventre, on s’imagine déjà en train de rendre ses tripes sur la mamie d’en face, du coup on angoisse, et là l’inconfort arrive, avec parfois de réelles nausées.
Donc voilà comment j’aurais pu ajouter cette phobie à quelques autres que je porte en chapelet. «Que j’aurais» seulement, parce que ça ne m’amuse plus de me complaire dans ce genre de coquetteries. C’est vrai quoi, il suffit de se raisonner un peu. Les vrais émétophobes me diront certainement que si je peux dire cela, c’est que je ne suis pas réellement frappé d’émétophobie, et je leur répondrai tant mieux, car c’est exactement ce que je souhaite.
Il faut re-la-ti-vi-ser et ne-pas-fli-pper.
Chéri, on n’a plus de San Pellegrino ? ARGHHH !