Mon purgatoire des énoncés
Mercredi 28 juin 2006Ah mais non, ce n’est pas vrai que je suis naïf et que j’avale tout ce qu’on me raconte sans broncher ! Certainement pas ! Ma démarche psychologique est bien plus subtile que cela, figurez-vous, même si personne ne semble vouloir le croire, même si personne ne semble même vouloir faire l’effort de le croire !
Evidemment, les faits semblent plutôt aller contre moi. Et les « ah ouais » que je lance avec de grands yeux étonnés et curieux à chaque fois que j’entends quelqu’un avancer une énormité ont tendance à beaucoup amuser mes amis. Mais ce n’est pas vraiment que j’y crois ! J’exprime simplement un réflexe de curiosité et je manifeste mon ouverture d’esprit sous une devise intérieure qui est « pourquoi pas ? ». OK ?
Je théorise cette attitude que l’on attribue un peu trop facilement, à mon goût, aux idiots du village et autres ravis de la crèche sous le concept sophistiqué de « purgatoire des énoncés ». Eh ouais. Est-ce qu’un grand débile crédule est capable de pondre un concept de cette classe ? Hum ? Non ? Eh bien moi si. C’est déjà un argument .
Qu’est-ce que mon purgatoire des énoncés ? Prenons l’exemple de la conversation que j’eus à midi à la cantoche avec quelques collègues où nous évoquions les éléments atypiques que l’on peut ajouter à un CV. Pour ma part, je dis que je pourrais indiquer que je sais jongler, puisque je sais jongler. Et là, un des types me dit que lui sait cracher le feu.
Et alors là, attention : tout s’enclenche. Evidement, il n’a pas une tête à cracher du feu tous les week-ends, mais est-ce que j’ai une tête à pratiquer l’auto piercing ? Non, eppure… Alors pourquoi pas ? Donc je lance mon fameux et inimitable « ah ouais ? ».
A ce moment-là, l’énoncé a pris place dans mon purgatoire, c’est-à-dire qu’il est reçu comme possible. Ce n’est pas que j’y croie, c’est que je m’apprête à le soumettre à vérification. Parfois c’est un énoncé qui se confirmera ou s’infirmera des mois plus tard, lorsqu’une autre personne recoupera l’info ou la démentira, parfois je peux tout de suite savoir ce qu’il en est.
En l’occurrence, voyant le type se bidonner de m’avoir fait bouffer une aussi grosse couleuvre, j’ai tout de suite su que l’énoncé en question tombait aux oubliettes, et que j’allais encore passer pour une dinde. Et pour tout dire, ça se passe souvent comme ça. Mais peu importe ! Je persiste !
Parce que, à l’inverse, il y a certaines choses que tout le monde avale et qui restent chez moi dans ce fameux purgatoire. Eh ouais ! Et il n’y a pas moyen : tant que ce n’est pas recoupé par une source sérieuse, ça y reste, pas de passe-droit ! Alors les alligators dans les salles de bain, les terroristes qui vous remercient d’avoir ramassé leur portefeuille en vous recommandant d’éviter Auchan à Velizy ce samedi, où le mec qui répond au sujet de philo sur la nature du courage en écrivant « c’est cela » sur la copie blanche qu’il rend, ça n’a jamais pris chez moi (enfin si, la copie de philo, un peu, mais j’étais jeune).
Bref. Est-ce que c’est bien clair ? Est-ce qu’on peut arrêter de me prendre pour une huître ?