Des cappuccini bien tassés
Lundi 31 juillet 2006Des rosaces en tibias, des fleurs en vertèbres, des guirlandes de crânes et d’os de bassin… La tanière de Predator ? Non non, c’est la crypte mortuaire du monastère des capucins*, collée à l’église Santa Maria della concezione, via veneto.
On avait vu ça dans National Geographic, et on se demandait à quoi cela ressemblait en vrai. En vrai, la crypte n’est pas une crypte. Elle est située au premier étage d’un immeuble d’aspect banal, qui jouxte l’église. L’escalier qui mène aux portes de l’église fait une halte, à mi-chemin, au niveau de ce premier étage, et permet d’y accéder directement. C’est amusant, de l’extérieur, de se dire que dans cet immeuble qui ressemble à tous les autres, à cet étage et derrière ces fenêtres communes, il y a quelques milliers de squelettes !
On est accueilli à l’intérieur par un véritable cerbère. Une femme aux airs napolitains, aux grosses lunettes, à la coiffure sévère, dont le rôle n’est pas de dire bonjour et de sourire aux visiteurs, mais de gueuler «donation» avec un accent anglais minimal à celui qui aurait oublié de jeter une pièce dans la corbeille sur la petite table, où un panneau précise que le montant de l’offrande est laissé à l’appréciation du visiteur. Quand on a vu sa tronche, nous avons tout de suite rajouté deux euros à ce que nous avions initialement prévu…
La crypte est toute petite. Elle est formée de six petites chapelles, devant lesquelles on circule dans un petit couloir. L’histoire est la suivante : au 17ème siècle, les capucins s’installent dans ces nouveaux locaux, et transportent à cet endroit les ossements de leurs morts qu’ils rangent méthodiquement, comme dans un ossuaire. Par la suite, l’endroit devient un lieu de méditation pour les frères capucins, qui n’arrivent pas à contenir leur esprit artistique : ils se disent donc que le lieu serait quand même plus joli si on le décorait avec ce qui reste des copains.
Voilà donc l’origine de ces riches ornements, dont la matière a donné des noms éloquents à chacune des salles : crypte des crânes, crypte des bassins, crypte des tibias et fémurs… Il y a de vrais petites mises en scène charmantes : leur description sur la brochure est elle-même bucolique : «Deux capucins se trouvent sur les côtés sous un arc renversé; celui qui est au centre sous un grand baldaquin de bassins, desquels pend une décoration de vertèbres. La rosace centrale dans la voûte est formée de sept omoplates avec des pendentifs de vertèbres ». Ça fait rêver…
E. qui aime bien les histoires de médecine légale s’est régalé. Moi j’avoue que le côté décoratif des omoplates en pendentif et des mâchoires inférieures en guirlande m’a un peu échappé, m’a même plutôt écoeuré. Ce traitement de la matière humaine en pièces ornementales, cette façon de traiter l’homme en moulures a quelque chose de dérangeant. C’est bien sûr, précisément, le but recherché : c’est la plus ironique des vanités, le meilleur moyen de nous mettre en face de ce nous allons devenir. Devant tout cela, l’augmentation de salaire, la calvitie menaçante ou l’amour-toujours n’ont plus beaucoup de consistance.
Impossible de prendre des photos. Cela se comprend, le lieu mérite un peu de solennité. Et le cerbère veille. Lorsqu’un Espagnol braqua son objectif, elle se saisit d’un micro et fit trembler toutes les voûtes de l’édifice par un terrible «No pictures ! I said : No Pictures !» qui tomba sur nous par les petites enceintes disposées partout. Je n’ai pas vu la réaction de l’Espagnol à cet anathème presque venu du ciel. Je crois que si j’avais été à sa place, mes jambes auraient cédé ! En sortant, l’Espagnol en a un peu rajouté, poussant la gardienne du temple à lui dire ce qu’elle pensait, un bon vieux «Ma vaffanculo !» qui m’a montré une fois de plus qu’en Italie, le sacré fait toujours bon ménage avec la familiarité. Quant à moi, je n’ai pas fait le malin en achetant mes cartes postales…
Un aperçu de celles-ci…
* Capucins : cappuccini en italien (oui parce que sinon on passe à côté de la subtilité du titre… )