J’écris swatteur parce que je ne veux pas me faire googler sur ce mot et ses dérivés… j’ai raconté cette histoire à tant de personnes que j’ai l’impression d’être plus reconnaissable en parlant de cela ici que si je mettais ma tof en gros plan, ou que je donnais le nom de mon ancien canard…
Bref. Donc l’appart que je voulais acheter a été swatté pendant onze mois, ce qui est plutôt extrêmement peu pour ce type d’affaire. Comment ça se passe exactement ? C’est assez simple, et d’ailleurs il y a de multiples réseaux d’aide et de sites Internet qui expliquent tout se qu’il faut savoir pour s’installer tranquillou. En gros, il faut bien repérer les lieux et agir vite. Mon appart à vendre était vide depuis quelques semaines, et la porte n’était fermée que par deux petits verrous de rien du tout. Il suffit donc de péter les verrous, de les changer au plus vite, et de croiser les doigts pendant deux jours. Pendant ces vingt-quatre heures, le swatteur est en situation de flagrant délit, et il peut se faire virer par la police. Il lui faut donc passer ce cap. Ensuite, comment prouver que l’on est là depuis plus de deux jours ? Le plus souvent en justifiant d’une ouverture de compte chez EDF, qui ne demande pas le statut de l’occupant. Parfois, les swatteurs préparent leur coup en mettant un nom sur une des boîtes à lettres de l’entrée pour se faire envoyer du courrier avant même de prendre possession des lieux. Leurs justificatifs sont ainsi déjà prêts.
Une fois la preuve faite des vingt quatre heures d’occupation des lieux, s’il n’y a plus de traces d’effraction, le swatteur a les mêmes droits qu’un locataire qui ne paye pas son loyer, c’est-à-dire qu’il est avant tout chez lui.
Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’à partir de ce moment, si le propriétaire voulait faire ouvrir la porte par un serrurier, il serait en situation d’infraction et de violation de domicile, et le swatteur pourrait appeler les flics pour interpeller le proprio, qui pourrait être condamné à une amende, par exemple, pour remettre la porte en l’état et qui devrait dans tous les cas restituer les lieux au swatteur, tout à fait dans son droit.
En fait, cette situation ouvre la voie à des situations tellement ubuesques que j’aurais eu du mal à les croire si on ne me les avait pas racontées. En ce qui me concerne, j’ai été préservé de ces situations puisque, in extremis, j’ai ajourné la signature. Cela ne m’a pas empêché, pour me faire un peu peur, d’imaginer ce qui aurait pu se passer ce 21 octobre 2005.
Je signe pour l’appart, et j’arrive tout pimpant devant ma porte. Les clés ne fonctionnent pas. Je rappelle le propriétaire qui m’envoie, par exemple, le serrurier de la copropriété. Il m’ouvre, et je m’aperçois qu’il est habité. Je panique, je décide de faire changer les serrures. Je reviens le soir après m’être renseigné. Le swatteur a pété les nouvelles serrures. Il me menace d’appeler les flics pour effraction de domicile, je ris jaune mais je lui abandonne quand même les lieux. Je me renseigne à nouveau, et j’apprends qu’effectivement je suis fautif d’avoir forcé la porte, et qu’il vaut mieux que je n’insiste pas. Soit. Le préavis pour l’appartement que j’occupe expire le 31 octobre. E. et moi avons 10 jours pour trouver un nouvel appart à habiter, sachant que dans le même temps, le remboursement de mon crédit est lancé. Bien sûr, je peux me retourner contre le vendeur, qui me vendait un bien censé être libre, mais cela n’empêche pas le fait que l’appartement est occupé. J’entreprends les démarches en justice. Je m’aperçois que le swatteur que je croyais seul est en fait accompagné de plusieurs autres, dont une femme et deux enfants. Et là c’est fini. Je suis à peu près sûr que je ne récupèrerais pas l’appart que je continue de payer d’ici au moins trois à quatre ans, s’il n’y a pas eu d’ici là un incendie ou une inondation.
C’est ce qui aurait pu se passer. C’est ce qui se passe plus souvent qu’on ne le pense. C’est juste assez peu médiatisé, puisque les propriétaires sont avant tout de gros pourris de capitalistes qui pensent qu’à leur pognon.
Heureusement, je n’ai pas signé, et le type était seul dans ces quarante mètres carrés, ce qui facilite les décisions d’expulsion. En gros, entre le moment où l’huissier constate l’occupation sans droit ni titre, la justice met trois mois à prononcer l’expulsion. Ensuite le swatteur a deux mois pour partir de lui-même (sic), ensuite il faut faire une demande d’assistance de la force publique qui a deux mois pour se prononcer, et une fois que la préfecture de police a donné son accord, il faut encore quelques semaines pour fixer un rendez-vous. Le swatteur a enfin un mois pour récupérer ses affaires que le propriétaire doit garder à sa disposition. Donc, si on se débrouille bien, on peut passer une année à peu près pénard dans son swatt. Sauf si on tombe sur des propriétaires un peu moins scrupuleux qui engagent des gros bras pour faire le vide…
En ce qui me concerne, j’aurais pu également reprendre mes billes et chercher un autre appart. Mais la fierté, que voulez-vous… la rancune… l’amertume. Je n’ai pas voulu lâcher l’affaire, qui, en outre, était une bonne affaire. J’en ai bavé, j’ai vécu des moments de découragement assez pénibles, j’ai même développé une phobie des magasins de bricolages, de décoration ainsi que de tous les magazines télé comme Intérieurs ou Question maison !
En juin dernier, à la fin du délai dont dispose la préfecture de police pour se prononcer, et sans nouvelle de leur part, j’appelai mon avocat pour lui dire que je laissais tout tomber, et que j’attaquais tout le monde pour le préjudice d’une promesse de vente rendue impossible à conclure. Mon avocat m’a quand même persuadé d’appeler moi-même la préfecture, pour savoir s’il n’y avait vraiment rien à faire. Et là, surprise ! L’autorisation avait été donnée depuis deux semaines, mais l’ordre n’était pas encore arrivé chez l’huissier ! Et voilà comment, deux mois plus tard, je peux récurer ma tomette avec la joie d’un gosse à qui on a rendu le jouet dont on l’avait privé.
Bref, voilà un autre aspect des histoires de swattages. Il y a parfois un côté gentiment anar ou libertaire derrière ces exactions, il y a parfois de vrais drames humanitaires. Mais il y a aussi ces situations où des types se servent simplement sur la bête et exploitent les failles de la législation, puisque c’est aussi simple.
Et j’avoue que plusieurs fois mon humanisme a vacillé.