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Archive pour septembre 2006

A la folie… (4)

Vendredi 29 septembre 2006

Les obsèques ont eu lieu le samedi 29. Il pleuvait. Un temps de novembre. J’avais prévu de dire tout le chagrin de cette journée, toute la tristesse de cette journée au ciel lourd. Entouré de ma mère et de mes frères, j’ai vu mon père dans le satin de son cercueil.

Puis on a fermé la bière. Plus jamais je ne verrai le visage de mon père.

Et puis l’église, l’orgue, l’oraison. Et puis le cortège jusqu’au cimetière. La dernière bénédiction.

Ce fut le moment le plus triste parmi les moments les plus tristes. Comme dans le tableau de Grunewald. Je n’aurais jamais pensé qu’on puisse à ce point se sentir abandonné. Orphelin. A vingt-cinq ans. Après ces années de combat contre mon père, je suis redevenu son fils. Mes pleurs étaient ceux d’un enfant.

J’ai ressenti le plus intense déchirement quand les fossoyeurs découvrirent le trou dans lequel allait descendre le cercueil. Ça glace le sang, la vue si brutale, si dépouillée d’un simple trou dans la terre. C’est toute la vanité du monde qui soudain vous serre la gorge.

Lentement, dans le silence et la légère rumeur de la pluie, il y eut le craquement des cordes, les raclements sur les parois, et le choc mat, effroyablement final, tout au fond.

C’est ici que l’on a couché mon père, c’est dans ce lit de terre qu’il repose depuis ce jour. Mon père mort de sa folie.

J’avais prévu de raconter tout cela, cette semaine, puisque cela fait cinq ans, parce que cela ne s’oublie pas, parce qu’écrire tout et n’importe quoi ici provoque parfois des régurgitations nécessaires. J’avais prévu d’y mettre beaucoup de mots, de fouiller mes souvenirs. De tout dire. En détails, avec les formes. Je voulais raconter cette cicatrice.

Mais je ne peux pas le faire, du moins pas comme je l’avais prévu. Simplement parce que je n’ai pas le temps. Parce qu’il y a E., mon boulot, mon appart. Ma vie. Alors je raconte tout cela quasiment d’une traite, quasiment d’un jet, quasiment d’un souffle. Je ne publie même pas ces mots moi-même : je ne suis pas cette semaine à Paris pour appuyer sur le bouton, j’ai programmé leur publication.

Je ne peux pas faire en détail le récit de ces années de cauchemar parce qu’aujourd’hui je n’ai tout simplement pas le temps. Parce que ma vie continue.

Mais je trouve que c’est une bonne excuse, la vie qui continue. Je trouve cela bien.

A la folie… (3)

Jeudi 28 septembre 2006

C’est encore monté d’un cran. J’aurais voulu faire sentir la monstrueuse rapidité avec laquelle nous étions entraînés vers le gouffre.

Je crois que mon frère m’a appelé, pour me dire qu’il avait conduit ma mère à la gendarmerie. Il l’avait bousculée. Fort. Elle a porté plainte. Elle a parlé de divorce. Elle le lui a dit. Le week-end suivant, je rentrais à la maison familiale. Il fallait que j’aille faire ma déposition.

C’est mon frère qui est venu me chercher à la gare. Pas ma mère. Mon père avait recommencé. Elle s’était réfugiée chez mon oncle. Malgré sa fierté de pacotille, elle n’en menait pas large. L’effroyable vision de ma mère qui ne contenait plus sa peur. L’effroyable vision de ma mère terrorisée. Nous l’avons escortée à la maison. J’ai croisé mon père. Nous nous sommes provoqués comme des truands. C’était glaçant. C’était mon père.

Le lendemain, dimanche, je suis allé à la gendarmerie. Je suis tombé devant un crétin plus habitué à faire souffler dans les ballons qu’à écouter ce genre d’histoire. J’ai raconté tout de même. C’était une chance comme une autre. Je n’ai pas forcé le trait. J’ai dit la vérité. A la fin, il m’a demandé : « est-ce que vous craignez pour la vie de votre mère ? » J’ai dit : « oui. Depuis six mois au moins.» Le dire était encore pire que le penser. J’ai signé le papier.

A table, je ne sais plus ce qu’il a dit. Que je vivais grâce à son fric. Ce n’était plus vrai, je venais de signer mon contrat au journal. L’occasion d’une dernière engueulade. Depuis des mois, il tenait le même discours à ma mère. Le fric était devenu un moyen de tenir tout le monde à genoux. Dans sa raison altérée, en tout cas. Il m’a dit : bientôt je disparaîtrais, vous serez tranquille. Ne t’inquiète pas. Je lui ai dit que je ne croyais pas à ces conneries, qu’il me dégoûtait. Qu’il n’était qu’une merde. J’ai repris le train.

J’étais resté tellement tendu ce week-end, tellement raide musculairement, que j’ai ressenti des courbatures dans toutes mes jambes le lendemain. Je me rappelle ce détail.

Devant la bêtise du flic rencontré, je me suis résigné à me renseigner fermement sur l’internement sur demande d’un tiers. En l’occurrence, c’eut été moi-même. J’ai imprimé les papiers.

Enfin je voulais raconter ce mercredi 26 septembre 2001. Ce message sur mon portable. Mon frère, voix étranglée : cette fois c’est grave, rappelle moi. Je n’ai pensé qu’à une chose : ma mère. Je le rappelle. Il est mort. Il s’est pendu.

J’aurais voulu décrire au mieux cette seconde précise, celle qui gonfle encore ma gorge quand j’y repense. Cette seconde où j’ai répété : mon père est mort. Mon ps’est pendu.

J’aurais pu me précipiter. Rentrer tout de suite. Je ne l’ai pas fait. J’ai appelé mon réd chef pour lui dire : je dois m’absenter pour le reste de la semaine. Mon père est mort. Je me suis entendu dire cette phrase, celle que je n’aurais jamais imaginer prononcer une demi-heure plus tôt.

Alors je me suis juste allongé. Pour revoir toutes ces années. Toutes ces années d’angoisse, qui s’achevaient aujourd’hui. Sur mon lit, j’ai eu l’impression de lire un long générique pendant des heures. Le mauvais film avait duré quatre ans, et s’achevait sur un dénouement que je n’avais jamais voulu espérer. J’avais pensé à tout, mais pas à cela. J’ai toujours pensé qu’il n’en serait pas capable.

C’était fini. Tout cela était fini.

J’ai appelé ma mère, qui contenait mal son émotion. Qui criait pour ne pas pleurer, puis qu’il pleurait pour ne plus crier. Il avait laissé un mot. Dans la voiture, près du pont. Je ne peux pas vivre sans toi, demande pardon aux enfants. A ces mots, je verse mes premières larmes. Il y en aura tant d’autres.

J’aurais voulu raconter le tourbillon dans lequel on se trouve entraîné quand la mort surgit. Très vite, j’ai compris que chaque seconde serait importante, qu’il ne fallait en perdre aucune et toutes les vivre avec attention.

Le lendemain, à peine rentré, j’ai trouvé mon père sur son lit de mort. J’aurais voulu décrire très précisément ce moment, quand on est submergé par la douleur, que les larmes jaillissent organiquement devant ce spectacle.

J’étais seul avec lui. Il n’était pas défiguré. Il était paisible. J’ai posé ma main sur sa poitrine. Je lui ai dit que je savais, que je comprenais. Qu’il s’était battu avec la folie et qu’elle avait gagné. Qu’elle s’était emparée de lui et l’avait poussé à tous ces outrages, jusqu’à diriger sa main contre lui-même. J’ai tout pardonné à mon père, là, sur son lit de mort. Aussi simplement qu’il l’avait demandé dans son petit billet. J’ai embrassé son front. C’était froid et lisse comme un galet.

Puis le tourbillon a continué. Les larmes, les miennes, celles des autres. Cette communion par les larmes. Ces moments d’exception où l’on pleure les uns en face des autres.

… /…

A la folie… (2)

Mercredi 27 septembre 2006

J’avais prévu de parler du divorce. Parce que j’en ai parlé à ma mère, mille fois. Mais l’idée de devoir fuir et de vivre de rien après une petite vie lui faisait je crois plus mal que de rester là. Et puis, j’étais encore étudiant et dépendant d’eux. Pour toutes ces raisons, je me suis hâté de gagner ma vie. Pour être libre de me battre contre lui.

J’avais prévu de parler du médecin. Il n’a même pas levé le nez quand elle a voulu l’alerter. C’est ce qu’elle m’a dit. Lui avait-elle vraiment tout dit ? N’a-t-il pas voulu se mêler de choses plus délicates que des rhinos et des bronchites ? Je ne sais pas.

J’avais prévu de parler des flics. Les flics n’ont rien fait.

Je voulais faire en détail le récit de la dernière année, qui fut la pire. Quand je n’ai plus eu de doute sur son état, sur le fait qu’il était devenu un monstre. Sur la suite des événements si ma mère continuait ainsi à dépérir sous toutes les formes de sa violence.

Quelques jours avant Noël, pour un motif dont je ne me souviens plus, je suis entré dans une fureur extraordinaire et complètement inconnue de moi contre lui. Je sentais mon poing se serrer, j’aurais pu le tabasser, lui péter la tête contre le sol pour toutes ces années de cauchemar. Le pas était franchi, et au moins c’en était fait : nous jouions franc jeu. J’étais ouvertement devenu pour lui un ennemi déclaré et je préférais mille fois cette situation à tous ces mois de faux semblant. Je parle bien de mon père.

Mes frères, le reste de la famille ont aussi mit du temps à admettre. Ou plutôt, ils rechignaient à admettre. Ils cherchaient toujours vainement le ressort psychologique qu’il aurait suffit de débloquer pour que tout rentre dans l’ordre. Dans ce genre de famille, modeste, on préfère que les choses se passent normalement, simplement. Quand cela dérape, on reste déconcerté, on attend, on espère que les choses rentreront plus ou moins dans l’ordre toutes seules. En attendant, on ferme les yeux.

Mais moi je savais qu’on était dans l’horreur, que tout s’était transformé, qu’il était devenu un autre, que ce serait chaque jour pire, qu’il fallait agir.

Peu à peu, les filets de la folie se son refermés sur lui. La paranoïa, la jalousie obsessive. Il s’est mis à reprocher à ma mère une espèce de nymphomanie évidente et obscène, et mille choses plus outrageantes et plus menaçantes encore. Ma mère a lâché à demi-mots des gestes et des paroles dont la simple évocation m’a dévasté. Simplement dévasté.

Mais la tragédie se jouait confinée, dans la maison. Hors les murs, le change était parfait. Qui aurait cru ? Qui pouvait se douter ? Nous étions prisonnier de notre huis clos. Nous seuls devions trouver la solution. Mais quelle solution, bon sang, quelle solution ?

Un jour, les récits de ma mère n’ont plus trahi de la peur, mais de la panique. Une menace qu’il avait faite, avec cette froideur glaciale qui était devenu son masque. Ce jour là, je lui ai conseillé de garder un couteau dans sa table de nuit. Je me suis entendu dire cette phrase. Je l’ai dite sérieusement. J’ai eu du mal à contenir ma voix jusqu’au bout. Une autre phrase peut elle résumer toute l’horreur de ses années ? « Un jour, j’ai conseillé à ma mère de garder un couteau dans sa table de nuit. ».

Je voulais raconter cette impasse, cette affreuse impression d’impasse. Où l’on cherche tous les moyens de s’en sortir, même les plus fous.

J’aurais voulu aussi exprimer le dégoût que toute cette histoire a fait naître de moi-même, pour moi-même. Moi qui, c’était un fait reconnu, ressemblait à mon père, je me détestais de porter en moi le germe d’un monstre. Je me sentait condamné, souillé. J’ai même voulu devenir hétéro, pour des raisons un peu obscures. Je ne sais plus bien pourquoi j’attribuais à mon père cette orientation, et je ne voulais rien lui devoir, même pas cela. Moi aussi, je partais en vrille.

Complètement en vrille. J’ai pensé à tuer mon père. Je ne me le suis pas dit comme ça, comme une simple façon de penser. Je me le suis dit posément, sérieusement. Je me suis demandé si ce n’était pas en quelque sorte le sens de ma vie. Est-ce que je n’étais pas né depuis toujours pour accomplir un jour ce geste ? Est-ce qu’il n’y avait pas eu un enchaînement de causes depuis ma naissance qui me prédestinait à me retrouver maintenant dans cette situation tragique pour aboutir au meurtre de mon père ? Quelque chose de follement oedipien.

J’ai d’abord pensé à le pousser dans les escaliers, à saboter la voiture, à masquer mon parricide. Et puis finalement, j’ai pensé à le tuer franchement, à le poignarder, en assumant mon geste, en espérant des circonstances atténuantes, la clémence. Je me suis dit qu’il fallait peut-être que je sauve ma mère à ce prix. Que c’était peut-être le terme extrême de mon implication dans toute cette histoire. Qu’il fallait que je le fasse. Je l’ai pensé le plus sérieusement du monde.

Je voulais raconter cela, cette simple pensée et toutes les nuits passée les yeux ouverts, fixant le même angle du plafond, à se demander si l’on est pas devenu soi-même un monstre, mais également si chaque jour de plus qui passe n’est pas un jour de danger de mort supplémentaire pour ma mère. Il faut bien se représenter cette scène, l’atrocité de cette scène.

Et puis l’internement. Dans mon esprit, ce n’était pas moins grave que le crime. Il m’aurait fallu signer le bas d’un papier pour qu’on emmène mon père comme on fait piquer son chien. Comment pouvais-je faire cela ? Comment aurais-je pu un jour affronter son regard, s’il était venu à l’idée de quelque médecin de lui permettre le retour à côté de ma mère ? Et pourtant, je ne voyais pas d’autre issue. J’ai de nouveau pensé à la mort.

… /…

A la folie… (1)

Mardi 26 septembre 2006

Voilà, cela fait cinq ans.

Il y a cinq ans, mon père passait par-dessus un pont. La seule chose qui l’empêcha de tomber à l’eau, ce fut la corde qu’il avait attachée par un bout au parapet, et par l’autre, à son cou.

C’est ainsi qu’il fut découvert, balancé au vent du matin, par l’équipe de kayakistes qui s’entraînait sur la rivière.

Les derniers mots qu’il entendit de moi furent sans doute quelque chose comme : « tu me dégoûtes, tu n’es qu’une merde ».

Dans mes tiroirs, traînait la documentation sur la procédure d’internement, que je m’étais enfin résolu d’imprimer.

Ma mère était sauvée.

C’était fini.

J’avais prévu de tout raconter. Depuis longtemps, j’avais prévu de dire les choses simplement. De les dire maintenant, puisque ça fait cinq ans.

De dire comment, sans qu’on sache bien pourquoi, la vie soulève de temps en temps le toit d’une maison pour y jeter le germe du cauchemar. Chez nous, il faut croire que le sol était fertile. Et la plante s’est lentement mise à croître.

J’avais prévu de dire comment tout cela s’est mis en place, quand mon père a eu environ 55 ans, quand le spleen l’a terrassé. Quand ses obsessions se sont installées. Tout doucement, n’importe comment. En voulant rebâtir d’abord une romance avec ma mère, alors qu’il l’avait déjà trop déçue pour espérer d’elle autre chose qu’un silencieux mépris.

J’avais prévu de raconter cet autre versant de la vie ouvrière. Quand l’ouvrier n’a vécu que pour que sa famille vive. Par pour lire des romans ou faire du théâtre après le boulot. Ce terrible dénuement de son âme dès que les démons de la vieillesse, des bilans de toutes sortes, s’abattent sur lui.

Je voulais narrer l’inexorable mise en place des éléments du drame. La folie qui s’installe. C’est dur et c’est long d’admettre que l’on est en face de la folie. Pendant des années, je n’ai pas voulu la voir. Je n’ai voulu voir qu’un homme bourru, un peu caractériel. Mais c’était un homme qui devenait fou.

Je voulais dire mes souvenirs de sa voix qui déraillait pendant ces incompréhensibles accès de colère. Mais en fait il se battait devant nous, contre la folie qui prenait place en lui. Dans ses yeux écarquillés, c’est cela que j’aurais dû voir : la panique devant la folie qui prenait corps, dans son corps ; cette folie qui l’a lentement poussé à se retourner contre nous, puis enfin contre lui.

J’avais prévu de décrire comment, à un moment, cela s’est précisé. Malgré mon éloignement de la scène des drames. Ma mère, si discrète, si fière, a multiplié les allusions concernant les accès de jalousie irraisonnés de mon père, ses crises obsessionnelles, son humeur noire. Au fil des mois et des successions d’événements, peu à peu, il a bien fallu que j’admette ce que je refusais d’admettre. Au téléphone, cette légère inclination de la voix, ce rythme qui s’accélère, c’était bien de la peur.

J’aurais voulu dire que plus la folie prenait corps d’un coté, et plus la peur s’installait de l’autre. Sous le même toit.

J’avais prévu de raconter aussi comment cette peur m’a gagné, moi qui vivait à quelques centaines de kilomètres de là, qui imaginait tout et ne savait rien précisément. Je me suis longtemps demandé s’il fallait que je cherche à savoir, ou si je devais me préserver en laissant ma mère faire pour le mieux. J’ai choisi de m’en mêler. Ca m’a valu des années de nuits blanches et d’angoisses, de questions qu’un fils ne devrait pas devoir se poser au sujet de son père.

Et puis je voulais dire comment tout avait basculé. Mais je n’arrive pas à l’écrire. Merde, j’avais prévu que je pourrais l’écrire. Mais non. Disons que nous avons objectivement découvert qu’il était devenu fou. Une fois ses ruses découvertes par ma mère, il n’était plus permis de douter, sinon peut-être encore un peu par pudeur. Mais l’homme qui rodait à la maison était devenu un étranger, un conspirateur. Il était devenu une menace. Il y avait péril en la demeure. La mort s’est mise à planer au-dessus de ce toit.

J’ai flanché plusieurs fois, en écoutant ma mère me raconter les derniers événements. Pas devant elle, car je devais la pousser à me les raconter. C’est la décision que j’avais prise, j’avais choisi de savoir. Mais je craquais après. Une fois le téléphone raccroché. Quand je me retrouvais seul, entièrement déconcerté, sans idée précise de ce qu’on pouvait faire, de ce qu’il fallait faire. L’angoisse m’envahissait, d’abord, puis la peur, une peur bleue, de l’incontrôlable, de la totale éventualité de tout, surtout du pire. Alors soit la rage prenait tout mon corps, soit le désespoir. C’était la colère ou les larmes.

Je voulais dire que ma mère avait mis plus de temps que moi a admettre qu’on était bien au-delà de l’acceptable, du raisonnable. Qu’il s’agissait d’une véritable pathologie, d’un danger. Je la comprenais, elle vivait avec lui. Elle s’efforçait de penser que tout cela restait vivable. Ses fureurs, ses chantages ignobles, ses jalousies dégradantes. Comment a-t-elle pu…

… /…

Fascination du vide

Vendredi 22 septembre 2006

Je viens de lire L’Adversaire, le bouquin d’Emmanuel Carrère sur Jean-Claude Romand et son affaire. Mais si, Jean-Claude Romand, ce type qui a fait croire pendant dix-huit ans qu’il était médecin, alors qu’il n’était rien, rien du tout, et qui a tué sa femme, ses gosses et ses parents quand son secret a commencé à vaciller.

Cette histoire me fascine depuis toujours. Je me souviens en avoir suivi les premiers développements le matin à la radio devant mes tartines, avant d’aller au lycée. Puis quelques années après, pendant le procès. Puis j’étais tombé sur un documentaire à la télé, monté à partir des témoignages des proches de la famille Romand. Un reportage édifiant, sur lequel je suis tombé une autre fois, à la faveur d’une rediffusion. Et là encore, je suis resté scotché. Je n’ai pas vu le film, car Daniel Auteuil n’a vraiment pas pour moi la gueule de l’emploi, mais je viens donc de finir le livre qui a inspiré ce film.

Bien sûr, il y a deux façons d’envisager cette affaire. La première, c’est sous l’angle de l’extraordinaire, du surnaturel. Il y a quelque chose de vertigineux dans cette existence qui n’existait pas, dans cette fuite en avant dans le néant. Il y a une fascination devant le vide de cette vie, et une envie de tourner longtemps autour pour ressentir ce vertige. Et somme toute les mots manquent, comme lorsqu’il s’agit de décrire ce que de vieux philosophes appelaient le non-être.

Et puis il y a un autre angle, c’est celui, plus prosaïque, du massacre et de la lâcheté. Et considérer le premier ne doit pas occulter le second, car il y a quand même cinq personnes qui sont mortes au bout d’une existence de dupes. Deux gosses qui ont été conçus, qui sont nés, qui ont grandi presque fatalement pour mourir un jour, et qui ont aimé celui qui savait qu’il finirait un jour par les tuer froidement d’une manière ou d’une autre. Ce fut au fusil.

Le livre retrace bien la confusion des premiers jours de l’enquête. Soit, un homme qui bute tout le monde parce qu’on allait découvrir sa double vie, c’est lisible, c’est compréhensible. Mais quelle double vie ? On découvre les abus de confiance et les détournements d’argent que Romand organisait pour survivre et logiquement, on fait de l’escroquerie le mobile de toute l’affaire. Sauf que les détournements n’étaient pas la fin, mais le moyen de l’existence de Romand. Et cette existence, ce n’était rien. C’étaient des jours qui passent et des mensonges qui se suivent. C’est là que l’affaire a rebondi, en prenant cette dimension surnaturelle : cet homme était mort depuis dix-huit ans, depuis le jour où il avait séché son examen de médecine. A partir de ce jour, il y avait eu une espèce de faille temporelle qui prolongeait mystérieusement ses gestes, sa chaleur, l’apparence de la vie sur son corps, mais il était mort et il savait que son sursis s’achèverait un jour.

Mais ce que le livre exprime bien également, c’est l’extraordinaire lâcheté de ce bonhomme, qui refuse la fin du sursis, et qui préfèra le prolonger le plus longtemps possible, d’abord en détournant du fric, puis lorsque la faille sembla se refermer définitivement, en sacrifiant cinq personnes pour préserver encore un peu son semblant d’existence. La mise en scène de son suicide manifeste tellement cette lâcheté…

En fait, cet homme voulait bien vivre, tenait même à sa vie, mais ne l’imaginait pas autrement que prostré, au fond de son lit, au fond de sa voiture, au fond de ses mensonges. Au fond de sa prison.

Et ce qui est également touchant dans ce livre, c’est que Carrère évoque parfois des souvenirs personnels pour montrer que l’on a tous, un jour, vécu cette envie de prostration ou tenté le plus énorme mensonge pour échapper à une situation quelconque. On a tous, probablement, frôlé un jour le bord du précipice dans lequel Romand, par un défaut de son âme, est tombé. Cela fait 31 ans maintenant, et il agonise encore.

L'adversaire

Poo poo pidoo

Mardi 19 septembre 2006

Un an à raconter des choses et d’autres ici…

Il y a un an, j’étais dans mes emmerdes professionnelles, j’ignorais encore celles, immoblières, qui allaient me tomber sur la tête, je n’avais aucune idée non plus de mon nouveau métier, de mon nouveau lieu de travail… Et qu’il y aurait deux mariages et deux enterrements… La vie quoi…

Enfin, voilà qui mérite bien un hommage tout à fait spécial…

Canard animé

Samedi 16 septembre 2006

J’arrive mille ans après tout le monde avec Queer Duck ? C’est bien cela ? N’empêche, je n’avais jamais vu ces petits épisodes en flash plutôt rigolos, même si je ne comprends pas absolument tout…

Queer Duck

Ah ! Si on nous avait passé ce canard là à la télé, plutôt que Calimero, il y a vingt-cinq ans, la face du monde en eût été changée !

Eudoxa

Jeudi 14 septembre 2006

Ralala… pas le temps, pas le temps, pas le temps… Je suis comme le lapin dans Alice…

Bon, ce que je voulais dire, en deux mots, c’est que j’ai vu cet après-midi ça dans Le Monde puis ça, où j’ai pu voir ça :

Sondage

(”14 918 collégiens de 3e (public et privé sous contrat) ont rempli des questionnaires adaptés à leur âge en mai et juin 2005 dans le cadre de leur établissement. Les résultats complets de l’étude devraient être publiés d’ici deux mois”)

et que je me dis que finalement c’est quand même plutôt bien, à part dans la ZEP où cela craint un peu…

Je ne m’attendais pas à des résultats pareils. C’est encourageant car ce sont ces mômes qui s’exprimeront dans quelques années, c’est là le terreau de l’opinion de demain. Et puis le privé s’en sort bien, ça chatouille mes bons souvenirs…

(Never) mind the bollocks !

Mardi 12 septembre 2006

C’est fou, ça, je ne me souvenais plus ce que c’était de porter un caleçon “flottant” :banana:

Je m’explique : pour des questions logistiques de blanchisserie, j’ai dû renoncer ce matin à mes habituels slips ou boxers. Il a fallu que je fasse les fonds de tiroirs pour retrouver un bon vieux caleçon bien lâche, un de ceux que je mettais après mes lointains entraînements de boxe. A l’époque, c’était plus facile à assumer dans les vestiaires qu’un armani boule-bonbons payé une fortune au Printemps de l’homme.

Je les garde depuis en réserve. Ils me servent notamment pour les virées avec mes copains hétéros, lorsqu’il va y avoir camping ou promiscuité virile, publique et décontractée au matin…

Bref. De toutes façons, même après la boxe ou bien au cours de ces virées, je porte des jeans ou des pantalons toujours suffisamment ajustés qui réduisent considérablement les propriétés flottantes dudit caleçon. Tout cela pour dire que j’avais presque oublié ce que c’était.

Or, ce matin, sous un pantalon de costard, quelle sensation ! Tout à coup, la gravité reprend tous ses droits et exprime, à chaque instant debout, la condition de l’homme conformément doté. La démarche elle-même affirme intimement, à chaque pas, la pesanteur boulesque et la mobilité zobinatoire. Ah ! :banana: :banana:

Du coup, j’ai passé la journée à ressentir cette proximité avec mes attributs, comme si j’avais été à poil du matin au soir. Ou plus exactement, comme si j’avais porté une espèce de pagne. C’est très agréable, très primitif, en fait. GRRRRRRR !!

Bon, et en même temps, un peu dérangeant tout de même, car je vivais cette mâle auto-satisfaction au milieu de tous mes collègues qui ne se doutait pas de mon exhibitionisme dissimulé !

Bref, je propose qu’un jour par mois, tous les gays qui travaillent en costard portent le caleçon flottant qu’ils auront acheté comme tous les hétéros chez Gap ou chez Célio, pour (re) découvrir ces sensations revigorantes !

Faith no more (fin)

Dimanche 10 septembre 2006

Mais oui, au fait, que s’est-il donc passé ce beau jour où tout s’est cassé la gueule ? Pas grand chose, j’ai juste perdu un billet de cinquante francs. Je me revois très bien les chercher dans la poche de mon jogging adidas peau de pêche, dans le parc de la ville où les profs de sports nous faisaient courir. Cinquante francs à mon jeune âge, ça me tracassait beaucoup, d’autant que je ne les avais même pas flambés mais tout connement perdus.

Alors je me suis dit que ça valait le coup pour une fois de prier pour quelque chose, dérogeant ainsi à ma règle de conduite qui excluait toute demande trop matérialiste (comme “être un super-héros”, “savoir devenir invisible” ou encore “pouvoir hyptnotiser mes petits camarades mignons”). Alors : oui, dis, s’il te plait, ce serait quand même sympa que je retrouve mon billet demain dans la poche de mon blouson, hein ? Je serais sage et tout et tout…

J’ai dû poursuivre mes demandes plusieurs soirs de suite, avant que le vent de la révolte n’emporte finalement toute ma dévotion. Un peu comme Phèdre qui envoie tout bouler dans l’acte 3. Mes propres monologues étaient moins lyriques. C’était plutôt : à quoi cela sert que je me casse le cul à être pieu, fidèle et désintéressé depuis tant d’années si je ne peux pas compter sur le moindre petit geste d’aide en ce moment tragique ? Cinquante balles, c’est quand même pas grand chose ! Tu es sûr que tu existes vraiment ? Que tout ça existe vraiment ? Genre, si je disais que tu n’es qu’un gros connard de merde qui n’existe même pas et qui n’est en tout cas pas capable de faire apparaître grand chose, est-ce que tu m’en ferais vraiment baver ?

Je crois bien avoir essayé. J’ai prononcé quelques insultes blasphématoires, pour voir si cela changeait beaucoup le cour de mon quotidien. Et puis non. Rien. Bonnet blanc et blanc bonnet.

En gros, cela s’est passé comme cela. Ainsi présenté, cela manque un peu de romantisme, mais intérieurement ce fut aussi bouleversant qu’une seconde puberté ! Il a fallu que je perde beaucoup d’habitudes, que j’apprenne à subir le sort sans chercher à lui trouver d’explications anthropomorphes, et surtout que je me sépare de cette oreille invisible qui écoutait tout ce que j’avais à raconter chaque soir, avant de m’endormir. J’imagine qu’à cette époque, j’ai dû considérer cela comme une forme d’endurcissement viril, lié à mon âge.

En tout cas, s’en était fait : j’étais sans Dieu. Comme souvent en ces moments de rupture, la réaction est disproportionnée. En l’occurrence, j’ai maudit dieu, la religion et les curés pendant des années et des années noircissant des pages et des pages de ma rancoeur devant ce grand mensonge mondial et devant la morale qui lui était associée, plus encore d’ailleurs lorsque ma solide pédéïté n’a plus fait de doute. J’avais perdu un Dieu, mais trouvé des ennemis. C’est une autre manière de constituer sa personnalité.

Et puis cela s’est calmé. Comme parfois après une séparation, on traverse d’abord une période de franche rancune contre celui que l’on a quitté, avant de retrouver un peu d’indulgence. On se dit que, bien sûr, on n’était pas fait pour vivre ensemble, mais que si l’on a passé de si bons moments de complicité, c’est que quelque chose nous liait malgré tout.

Pour ma part, ce mysticisme, ce sacré qui me convenaient si bien dans les églises ne m’a jamais quitté. Cette envie de toucher Dieu, d’approcher le principe, d’embrasser l’être… Tout rationaliste que j’étais devenu, j’ai redécouvert ce souffle dans les écrits des présocratiques, dans la métaphysique de Descartes, dans le système de Spinoza. L’idée de Dieu prend des formes si diverses, mais son principe est toujours le même…

Alors j’ai invité mon ex à déjeuner : sans plus de passion pour lui, j’ai mis le christianisme à table. Des évangiles aux Pères de l’Eglise, de Saint-Paul à Leibniz en passant par quelques scolastiques médiévaux, j’ai remis le doigt dans l’engrenage. Mais plus pour y croire, juste pour savoir. Comprendre comment un homme, par sa vie et sa mort, a pu à ce point transformer la face du monde. Ressentir la manière dont tout cela a mis des siècles à se construire, à travers des débats théologiques assez magnifiques.

Aujourd’hui, cela reste une de mes tasses de thé préférée, car le christianisme est à la fois un incroyable monument de concepts et une merveilleuse histoire d’hommes.

Evidemment je suis pédé, évidemment Jean-Paul II, Benoît XVI, act-up et tout le toutim. Evidemment.

Ce serait trop long à développer, mais je pense qu’une religion ne mène pas la société. C’est la société qui fait évoluer la religion. Demander à la religion d’énoncer des principes progressistes, c’est comme demander au Titanic de braquer à bâbord devant l’iceberg. Par contre, la religion finit toujours par s’arranger avec la réalité sociale. Parce que sinon, la société va voir ailleurs. Je schématise, mais c’est juste pour m’expliquer : je m’en fous que l’église soit contre le mariage gay. Il y a cinquante ans, elle était contre le divorce. C’est au futur président, pas au futur pape, que je demande de faire bouger les choses. L’intendance suivra.

D’ailleurs je m’amuse toujours de voir que ce sont souvent les gens qui ne croient pas qui sont les plus pendus aux lèvres de Ratzinger, pour savoir ce qu’il autorise ou ce qu’il défend. Il me semble que la plupart des cathos font moins de zèle. Quant à moi, n’en parlons pas !

A moins qu’un beau matin, je ne trouve 7€50 sous mon oreiller…