Bon allez, il s’agirait de s’y remettre un bon coup ! Du courage ! De l’élan ! Hop ! Nom d’un foutre (je lis Céline en ce moment…)
C’est un petit événement survenu ce matin qui me donne envie de tapoter. J’entends d’avance les sarcasmes sur la glauquitude de ces pages, mais j’y peux rien ! Tout s’enchaîne ! La mort rôde ! (ah oui, tiens, en plus, c’est Mort à crédit que je lis)
Bref.
Les raisons seraient un peu longues à expliquer, mais le souvenir d’un type m’est revenu en mémoire l’autre jour. Un philosophe plein d’avenir, spinoziste adoubé quelques années avant moi par ma prof vénérée. Nous nous sommes un jour retrouvés, lui et moi, dans le petit bureau de cette prof, invité que j’étais à badiner savamment sur le contenu de l’Ethique. Je ne sais plus si je l’ai raconté dans le récit de mes extases intellectuelles, mais j’ai vécu ce moment je crois comme ces pétasses 16iémardes ou parvenues qui font dans des froufrous embarassants leur entrée dans le grand monde. C’était mon bal des débutantes !
Alors qu’il préparait son doctorat, il a bien voulu assister à ma soutenance de maîtrise, la sanctionnant de quelques paroles élogieuses et encourageantes. Petit moucheron que j’étais, je lui ai rendu la politesse en assistant à son couronnement doctoral, au cours duquel j’ai entendu ma prof demi-déesse sur terre reconnaître toute l’honorabilité de son travail. Je crois même que Pierre Macherey était dans son jury… Ce jeune loup était la success story incarnée, le rockfeller du spinozisme ! En plus, autant que je me souvienne, il était plutôt bien de sa personne, marié et père de famille assez tôt.
Plus tard, alors que je me détournais, hélas, de la philo, (saloperie d’agrèg de merde), j’ai continué à suivre un peu son parcours, qui allait tout seul. En plus d’être spinoziste, il était deleuzien, ce qui ne gâche rien (je sais que c’est bien d’être deleuzien, mais, honte à moi, je ne sais pas très exactement pourquoi car je n’ai jamais trop lu Deleuze…). J’apprenais la publication de quelques articles, d’un livre ou deux sur l’un ou sur l’autre.
Les années passent, et voilà que son visage me revient il y a quelques jours. Alors, ce matin, je passe son nom dans google. Tiens, un article dans wikipedia. C’est quand même une certaine reconnaissance ! Je ne me suis pas fait adoubé par un mauvais cheval ! Que dit-on ? Philosophe, maître de conférence à l’Université Paul Valery de Montpellier. Ah très bien ! C’est une bonne nouvelle car je me souvenais qu’il avait galéré un moment dans un poste en lycée un peu pénible. ”Spécialiste de Deleuze et de Spinoza. Il s’est donné la mort en avril 2006″.
Nouvelle confirmée sur d’autres sites. Il s’est tué ! Je suis sans voix… Bien qu’il avait dû vite m’oublier, bien que des années nous séparaient à présent, j’avais toujours gardé son imprononçable nom en mémoire, car il représentait pour moi le prolongement de ce que j’avais dû abandonner, la réussite sur la voie que j’avais renoncé à parcourir
Il s’est tué, comme Deleuze s’est tué, mais Deleuze était au soir de sa vie. L’un et l’autre étaient profondément spinozistes, mais mince ! Pourquoi se suicide-t-on lorsque l’on est spinoziste ? C’est inquiétant ! Est-ce qu’il n’y a derrière cet attachement à une philosophie qui exalte la vie, le désir, la positivité, un deséspoir qui se dissimule ? est-ce que l’on se force à croire que tout est merveilleusement organisé pour ne pas voir que tout n’est qu’un sinistre bordel ? Oui, oui, les causes extérieures qui transforment les parties, la décomposition plus grande que la composition… Mais je suis un peu circonspect… J’avoue que j’ai vite passé ma prof dans Google pour savoir si elle ne s’était pas elle aussi foutu en l’air, ce qui m’aurait quand même salement secoué ! J’aurais viré kantien en vitesse ! Mais non, elle a fait récemment quelques conférences…
Bon, promis, je ne parle plus de gens morts pendant un mois.
En plus, je fais le con, mais ça me fait de la peine.