Berck pages*
Samedi 30 décembre 2006Pourtant j’avais dit qu’après «Nord» je faisais une pause. Mais ce fut plus fort que moi, dès la dernière page tournée j’ai acheté «Casse-Pipe» et «D’un château l’autre». Je suis accro au style fangeux de Céline. J’avais d’abord lu le « Voyage » il y a quelques années. Quelques premières dizaines de pages un peu pénibles à lire, avant de commencer à se prendre les pieds dedans. Avant de comprendre qu’on sera embourbé jusqu’à la fin. Toi qui entre ici, abandonne toute espérance, comme disait l’autre. A la fin du bouquin, l’impression physique d’avoir exploré le monde, d’avoir caillé d’infortune en Amérique, d’avoir suffoqué du paludisme en Afrique, de débarquer dans je ne sais plus quelle banlieue parisienne comme s’il s’agissait d’un autre no man’s land exotique. J’ai acheté « Mort à crédit » juste après, mais je n’ai pas eu le courage de le lire, de rechausser les bottes boueuses. Merde, la vie est belle un peu, aussi, non ?
Est-ce la trentaine qui m’a donné envie de me replonger dans la merde ? (oui j’en fais des tonnes, j’adore). J’ai repris ce bouquin cet automne. Pareil, des premières pages difficiles à lire, pénibles même. Mais c’est le jeu, il faut se torturer un peu la sensibilité pour être en phase avec le texte, pour bien déguster l’angoisse. L’angoisse… et les mots, car ils sont la récompense de toutes ces concessions à l’optimisme, à l’espoir. Les mots de Céline sont tour à tour salement bien amenés ou superbement dégueulasses, gentiment provocants, terriblement désenchantés. Passant à la moulinette, ils sont volontairement et brutalement destylés, extirpés de toute tentative harmonieuse, et pourtant c’est justement cette purée de phrases inachevées qui est géniale. Enfin, je ne suis pas expert du bonhomme, mais c’est une langue comme j’en ai jamais lue.
Après donc les histoires de pommes de terre telluriques et pourries et autre tête en bouillie, adieux sur les quais de gare, etc. j’ai aussitôt acheté « Nord » recommandé par le père de E. Le style est toutefois moins enlevé que dans « Mort à Crédit », la langue plus calme et le périple moins crapahutant. Toute l’histoire se déroule quasiment dans le même château de cinglés allemands, avec ces trois collabos paumés au milieu, se demandant par qui en fin de compte, ils se feront écharper. En filigrane, pas mal de belles anti-méditations sur la guerre.
Mais à plusieurs reprises, j’ai ressenti quand même quelques écoeurements. Non pas vraiment à cause de ce qui est raconté, car il n’y a rien du tout de très monstrueux, mais encore une fois à cause de la noirceur implacable de Céline. Il n’y a pas d’échappatoire sur la nature humaine, et tout le récit, des sentiments aux situations, est saupoudré d’un réalisme salement crasse. C’est usant. Alors j’ai fait des pauses, et pour me donner du cœur à l’ouvrage, je me suis dit que je choisirai mon prochain bouquin parmi quelques bluettes romantiques.
Mais c’est plus fort que moi. Laissant ma tripotée de collabos aux portes de la Baltique, je veux poursuivre le périple, même si c’est un peu dans le désordre. Alors j’y retourne.
* Je suis estomaqué par le génie drolatique de mon titre :bis: