En fait, Berlin, c’est une ville très nostalgique. Je sais, la nostalgie, c’est un peu mon fonds de commerce, mais quelques jours après en être revenu, ce sont bien les images qui me restent. Une ville nostalgique pour trentenaires de mon genre.
Le simple nom de Berlin me rappelle mes cours d’histoire-géo du début du collège, lorsqu’on apprenait qu’une ville était coupée en deux par un mur. Ça paraissait tellement irréel, tellement impossible, ne serait-ce que matériellement. Sur la carte, on nous expliquait que l’existence de ce mur était liée à cet énorme aplat de couleur, grand comme un continent, dont le nom était des initiales. On ne nous disait pas grand-chose de ce pays et de cette demi-ville, sinon que c’était assez différent de chez nous et surtout, grande différence que si quelqu’un de chez nous voulait aller chez eux, ça pouvait aller, mais si quelqu’un de chez eux voulait aller chez nous, il se faisait descendre. Ces moitiés d’explications, à défaut de me faire comprendre, m’ont au moins marqué définitivement.
Alors, une fois dans Berlin, tout cela m’est revenu : il y a cents bâtiments, rues, détails qui réveillent ces impressions. La tour de télévision, le café Moscou, le Kino International, le portrait du soldat de l’Armée rouge à CheckPoint Charlie, mais aussi les terrains vagues qui demeurent là où était planté le mur, et les façades criblées de balles…
On retombe dans ces images d’actualité un peu passées, les défilés militaires, les déploiements de chars, les militaires russes et leurs grands képis, ces photos d’architecture clinquante, de bâtiments grandiloquents sur fond de ciel bleu et de vie meilleure dans les bouquins d’Histoire, dans ces films avec des miradors et des barbelés, où les gentils veulent échapper aux méchants, à ces histoires de voitures à double fond, de tunnels, de passeurs, et puis aussi Amanda King et Lee Stetson, dans «Les deux font la paire» qui luttaient sans répit contre le KGB… Je me suis rendu compte à quel point mon enfance, et sans doute l’enfance de quelques générations, avait été imprégnée de ces images forcément très binaires. Jusqu’à la chute du mur. La porte de Brandebourg sur toutes les télés. Côté Ouest, les tags sur le mur et les berlinois en vestes en jean et baskets très eighties qui donnaient des coups de pioche. Là non plus, dans le fond, je n’y comprenais pas grand-chose, mais voir un pan de mur tomber lourdement et tant de gens franchir ce passage les larmes aux yeux, ça marque sans autre raison.
Alors voilà, je pensais à cela en déambulant dans Berlin. Evoluer dans les restes de ce décor de la guerre froide, je pensais que c’était comme revoir une très très vieille émission de télé. Si j’ose dire.
Et ce qui est appréciable, pour goûter cette nostalgie, c’est que la ville ne gêne pas le promeneur. C’est si calme ! Berlin est à soi. Lorsque nous sommes sortis de la gare, ce samedi matin vers 11 heures, nous nous sommes demandés si Berlin était fermée le week-end. L’espace, presque le vide, et le calme, presque le silence. Les trottoirs quasiment déserts, quelques voitures dans des artères deux fois trop grandes pour le trafic. C’est étonnant.
On m’avait dit que Berlin, c’était grand et vaste. On m’avait dit que c’était frappant, et je me demandais ce que c’était de ressentir une impression d’espace en ville de manière frappante. On m’avait prévenu que la ville était éparpillée autours de plusieurs centres, et que ces noyaux pouvaient être séparé par des terrains vagues, des parcs immenses, ou tout simplement rien. C’est bien cela. Berlin est distendue, sa densité est délayée dans l’étendue. Paris serait une sorte de glaçon, très compact, aussi large que haut, et Berlin ce même glaçon, mais aux trois-quarts fondu : c’est la même quantité de matière mais très étalée…