Il y a autre chose qui m’a amusé, lors de ce grand raout. Tout le monde, semble-t-il, avait le choix de s’exprimer en français ou en anglais. L’animateur journaliste était lui bilingue et jonglait sans problème entre les deux langues. Mais ce qui était amusant, c’était de voir à quel point les pontes du groupe voulaient à tout prix s’exprimer en anglais, même quand l’animateur les interpellait en français. Ils ressentaient sans doute une espèce de gloire à montrer ainsi leur carrure internationale. Et une certaine fierté à prouver qu’ils avaient retenu quelque chose des centaines d’heures de formation « spéciale cadre dirigeant » qu’on avait dû leur accorder.
Et pourtant, pour la plupart d’entre eux, qu’est-ce que c’était poussif ! Cet anglais là est en fait d’une espèce d’esperanto simplifié, avec quelques mots récurrents liés par des structures simples, le tout formant un échafaudage qui parvient à tenir droit, mais avec des courants d’air de toutes parts. Du coup, ça limite forcément la profondeur du propos aux quelques mots clés répétés et répétés : growth, strength, skills, Career Paths, big player, competitors, et re growth, strength, skills, Career Paths, big player, competitors…
Bref, baragouiné pendant des heures entières, ce pâté de langue est devenu tellement indigeste que j’ai préféré écouter la traductrice dans le casque. Elle au moins tentait de mettre les formes, variait son vocabulaire, et surtout mettait le ton.
Attention, je dis cela sans dédain. Mon anglais oral à moi est vaguement touristique, et je serai bien emmerdé si je devais raconter ma vie à une assemblée d’étrangers ou d’anglophones.
Mais en l’occurrence, ce n’était pas le cas. C’est ça qui à mon avis traduit un léger snobisme… A chaque intervention francophone, je n’ai vu que quelques personnes mettre leur casque, ce qui laissait entendre que nous étions une écrasante majorité à comprendre le français.
Le propos n’était déjà pas passionnant, alors tout aurait été sans doute plus agréable à écouter en langue maternelle, avec du vocabulaire, des intonations, de l’humour, plutôt que cette longue litanie de mots clés, qui en plus plongeait certains intervenants dans un tel état de stress… J’avais parfois l’impression d’assister à des oraux…
Le capitalisme doit fonctionner sur quinze concepts à tout casser, et ce n’est déjà pas marrant. Mais en version business english, on dirait qu’il y en a encore deux fois moins, et là c’est carrément désespérant !