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Le champ des morts

Souvent, quand je rentre dans mon bled et que ma mère passe me chercher à la gare, nous nous arrêtons au cimetière avant d’arriver à la maison, parce que c’est sur la route et qu’il y a toujours une bricole à faire. J’aime bien ce détour, j’aime bien ce cimetière. J’aime bien toute la vie ordinaire, domestique presque, qui s’anime dans ce lieu des morts.

On s’arrête juste à côté de la porte, on pousse la grille, on foule le gravier. J’adore ça, fouler le gravier. Ça donne tout de suite une espèce de lente solennité à la promenade, on marche au rythme de sa propre musique et chaque pas s’enveloppe de ce bruit si minéral.

Après quelques années, on n’en est plus au recueillement ou à la douleur. Après quelques années, on ne vient plus au cimetière pour dire au revoir, on vient plutôt pour dire bonjour.

C’est la vie qui reprend le dessus. On passe voir mon père, ma grand-mère, quelques parents de ma mère que je n’ai jamais connus mais sur la tombe desquels on jette un coup d’oeil. Tiens, il faudra passer une éponge sur la pierre, est-ce que les impatiens vont tenir une semaine ? Mince, le pot de marguerites est renversé… On emprunte une des bouteilles que les gens laissent près des tombes pour aller prendre de l’eau au robinet, et verser quelques rasades sur les fleurs, décrasser le Christ qui s’est ensablé… On échange quelques mots sur Tante machin dont décidément je ne retiendrai jamais la généalogie. Et puis sur les nouveaux arrivés, celui-ci “tu sais bien, qui habitait au-dessus de l’église, dans la rue truc”. Je réponds souvent oui, mais ça fait bien longtemps que je ne me souviens plus de grand monde, dans mon bled, ni même de la rue truc.

Puis on fait demi-tour. On croise toujours quelques vieilles, affairées elles aussi à remettre un bouquet en place, à glisser deux rameaux de buis derrière le crucifix. “Vous allez bien ? Ah c’est votre grand fils ? On ne le voit pas souvent… Oui, on a de la chance d’avoir du soleil cette année pour Pâques, blabla…”.

On remonte les allées les plus anciennes, celles qui me fascinaient quand j’étais gosse, avec des cénotaphes de pierre, montés comme des baignoires sur des pieds d’animaux, ou des tombes effondrées et brisées qui ne laissaient passer au travers de leurs fentes qu’un noir de ténèbre mais où je redoutais un peu d’apercevoir quand même un oeil ou une main.

Au milieu de ces vestiges de pierres noircies, on croise quelques monuments modernes, en granit poli, souvent rose, noir ou bleuté. Certaines familles ne reculent pas devant la dépense pour offrir le grand luxe au disparu : on peut maintenant faire graver le visage du trépassé sur la pierre tombale, à partir d’une photo, ou imprimer en couleur n’importe quelle image. Vu le résultat, je me demande si c’est un vrai progrès…

On longe le monument aux morts de la grande guerre, et ses petits canons en bronze sur lesquels on jouait, puis les columbariums, dernièrement installés. Enfin, le bruit de la promenade s’arrête : on a quitté le gravier sonore pour le bitume du trottoir. On a quitté le champ des morts.

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